Le cadastre napoléonien nous donne une désignation ‘Pré de Loye’ pour une parcelle tout proche de Fey (1).
Cette appellation attire notre attention. Que représente ‘Loye’ ? C’est un élément à priori intrigant, mais il semble qu’on puisse y voir Pra(t) de l’òia, c’est-à-dire « pré de l’oie ». On opposera immédiatement que ce n’est pas un attribut pour un pré. On ne doit donc pas s’arrêter à cette explication fragile et il nous faut tenter une hypothèse.
Pour point de départ, nous remarquerons que òia est bien le mot du patois sigolénois pour « oie », mais il s’agit cependant d’une forme atypique pour une zone de langue occitane, on s’attendrait à avoir aucha (lat. auca). Bien que òia soit généralisé à l’est du Velay, on ne doit pas en conclure que c’est la forme authentiquement locale, on ne peut pas écarter la possibilité d’une substitution de aucha occitan par òia, forme refaite à partir de òia/òii forézien. Une telle substitution ne serait d’ailleurs pas un cas unique, on a connu l’introduction de chiòra, une forme phonétique de chieura forézien qui a remplacé chabra (« chèvre »). Les foires et marchés ont certainement été le vecteur de diffusion de ces formes foréziennes.
On doit ensuite constater que aucha (« oie ») est phonétiquement proche de òucha (« ouche »), et la confusion entre les deux est facile (2). Le cadastre napoléonien de Sainte-Sigolène offre de très nombreuses parcelles nommées l’òucha, parfois écrit ‘Louche’, mais souvent ‘Lauche’ dans les sections F, L, M. Cette parcelle « Pré de Loye » est toute proche du village de Fey. Au moment du cadastre napoléonien, en 1810, elle fait partie d’un bien foncier incluant un corps de ferme, sa localisation par rapport à ce bâtiment est tout à fait caractéristique d’une ouche (3).
On peut donc imaginer le scénario suivant : le lieu étant proche des habitations, on avait presque nécessairement une ouche, d’où la présence d’un prat de l’òucha. Tout espace agricole est réaménagé un jour où l’autre, et après disparition de cette ouche, le nom prat de l’òucha, devenu vide de sens, a été interprété en prat de l’aucha. Il a été ensuite embarqué dans le mouvement de substitution de aucha par òia, d’òu prat de l’òia, adapté en ‘pré de loye’.
On peut alors imaginer que ce changement de sens a dû se produire ailleurs dans l’espace occitan. Une rapide recherche sur Internet est alors fructueuse, on trouve par exemple « l’oie plumée » dans la commune de Meilhards en Corrèze, substitut à l’òucha plomada « ouche dénudée, abandonnée » (4). A proximité de notre territoire, on trouve également un lieu-dit ‘La Loye’ sur la commune de Monistrol (5).
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(1) Cadastre napoléonien, section F, parcelle 603
(2) ÒU [ ɔ u ] est devenu [ ɛu ] à Sainte-Sigolène, [ ɔ u ] et [ ɛu ] sont à égale distance phonétique de [ au ]
(3) Constitué des parcelles 603, 606, 610 , appartenant à Joseph Jannet
(4) « Limites de territoires et de parcelles dans la toponymie de la Corrèze », Michel Probel
(5) Cadastre napoléonien de Monistrol-sur-Loire, section K, parcelle 21.
Auteur: Didier Grange - 2020,2021,2022,2023
Santa-Segolena: 'Sainte-Sigolène '
La meira : ‘La grand mere’, ‘le meyrat’
La malautèira : ‘La malouteyre’
* Pra(t) de l’òia : ‘Pré de Loye’
Pueibrau : ‘Pébrau’, ‘Peybraud’
Pont soteira(n) : ‘Pont souteyrat’
Lo vial, la viala : ‘la vialle’
Las sèrvias : ‘Les servies’, ‘la servia’
Licha-Mealha: ‘Lichemiaille’, 'Lichemaille'
Peirelaa, Peiralaa : ‘Peyrelas’